La Cerisaie de Tchekhov à la Comédie-Française
La Comédie-Française reprend la mise en scène délicate de Clément Hervieu-Léger pour La Cerisaie de Tchekhov. Peut-être la pièce la plus juste et bouleversante de l'auteur, entre humour et fatalité.
Théâtre à Paris : La Cerisaie de Tchekhov à la Comédie-Française
- Une propriété familiale pleine de souvenirs
- L'angoisse née d'un monde qui change
- Loïc Corbery joue un Lopakhine déchiré entre ambition et compréhension
- La chambre des enfants, refuge contre le changement

L'attachement à un domaine familial
Lioubov Andréïevna Ranevskaïa a passé cinq ans à Paris où elle s'est exilée après la mort de son fils Gricha qui s'est noyé dans la rivière à l'âge de 4 ans. À Paris, elle a vécu avec un homme qui l'a dépouillée de sa fortune : elle est ruinée et criblée de dettes. Elle retrouve son domaine familial et sa cerisaie remarquable dans la province russe. Lopakhine, un riche marchand autrefois asservi au domaine, vient lui rappeler qu’elle n’a pas d’autre choix que de vendre la propriété, y compris la cerisaie ancestrale, pour rembourser ses dettes. Il lui propose de sauver le domaine en le transformant en chalets d’été, mais cela implique la destruction du célèbre verger de cerisiers. Cela impacterait la nature, mais aussi le patrimoine familial et tous les souvenirs qui y sont attachés...
Un monde qui change
L’écrivain russe Anton Tchekhov (1860-1904) signe avec La Cerisaie son ultime pièce. Il meurt quelques mois après sa création et la première au théâtre d’art de Moscou en 1904. Auteur prolifique de pièces de théâtre et de nouvelles, c’est l’un des écrivains les plus célèbres de la littérature russe. Témoin d’un pays et de la province russe à la fin du XIXe siècle, Tchekhov s’appuie davantage sur l’intériorité de ses personnages que sur leurs actes. Dans cette œuvre testamentaire, il aborde le temps qui passe, ses cassures et ses lentes transformations, personnelles ou collectives. Il raconte avec une intensité déchirante la disparition d’un ordre ancien et l’émergence d’une nouvelle ère dont l’inconnu effraie. La complexité des sentiments et la subtilité psychologique de chaque personnage confirment le génie de l’auteur qui allie gravité et dérision, amertume et humour dans une réflexion désabusée et poignante. Au crépuscule d’un empire féodal après l'abolition du servage en 1860, la cerisaie est un havre de beauté ; Tchekhov y cristallise les tiraillements de la fin d’une époque.
"J’aime le théâtre fait de souvenirs. Ceux de l’auteur. Les nôtres." Clément Hervieu-Léger
Lopakhine, un réalisme qui étouffe ses sentiments
Le marchand Lopakhine est l'incarnation d'un esprit ambitieux, pragmatique, soucieux de performance et d'efficacité, qui se heurte à des profils psychologiques radicalement opposés. Peut-on convaincre des personnages empathiques et sentimentaux, épris de beauté et d'authenticité, avec des chiffres et des réalités froides et douloureuses ? Pourtant, Lopakhine a lui aussi un attachement profond au domaine et à ceux qui y ont vécu. Dans le jeu enflammé de Loïc Corbery, le pragmatisme et la lucidité semblent être une potion amère qu'on est bien obligé d'avaler. L'acteur le vit dans un déchirement permanent, comme si son ambition étouffait ses émotions et ses sentiments qui le brûlent de l'intérieur sans pouvoir s'exprimer. Face à lui, Florence Viala est une Lioubov aussi attachante que pathétique, dans un déni de réalité qui la mène à sa perte.
La chambre des enfants, refuge contre le changement
La scénographie d'Aurélie Mastre circonscrit l'action dans une chambre d'enfants chargée de souvenirs. Car ce sont les souvenirs d'une vie passée qui sont la première raison de l'attachement au domaine, plus que la matérialité du lieu ou l'utilité de cerisiers qui ne donnent même plus de fruits chaque année. Il en résulte une impression d'enfermement dans un refuge confortable où l'on peut encore penser que le monde d'autrefois peut encore perdurer. Quand un pan du mur s'ouvre sur une scène de bal délicate et joyeuse, c'est le début d'un parcours de prise de conscience des réalités qui commence par une sorte de dépendaison de crémaillère...
Clément Hervieu-Léger
Clément Hervieu-Léger s'est d'abord passionné pour la danse, avant de trouver sa voie dans le théâtre. Formé au Conservatoire du 10e arrondissement de Paris, il fait ses premiers pas à la Comédie-Française en 2000 en interprétant le Greffier dans L’Avare de Molière sous la direction d’Andrei Serban. Il devient pensionnaire de la prestigieuse institution en 2005, puis sociétaire en 2018. Il rencontre aussi Patrice Chéreau en 2003 et collabore avec lui pendant dix ans en tant qu'acteur ou pour des mises en scène d'opéra. Au Français, mais aussi dans d'autres établissements, Clément Hervieu-Léger est comédien et metteur en scène de théâtre et d'opéra. De ses nombreux rôles, on se souvient tout particulièrement de son fascinant Gunther von Essenbeck, dans Les Damnés, mis en scène par Ivovan Hove en 2016 dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes au Festival d'Avignon, puis à la Comédie-Française. Il prendra ses fonctions d'administrateur général de la Comédie-Française en août 2025.
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Clément Hervieu-Léger mise en scène
André Markowicz et Françoise Morvan traduction
Florence Viala Lioubov
Loïc Corbery Lopakhine
Anna Cervinka et Pauline Clément (en alternance) la bonne
Adeline d'Hermy Varia, fille adoptive de Lioubov
Morgane Réal Ania, fille de Lioubov
Clément Hervieu-Léger Trofimov, étudiant
Michel Favory Firs, laquais viellard
Véronique Vella et Edith Proust (en alternance) Charlotta , gouvernante
Eric Génovèse Leonid, frère de Lioubov
Nicolas Lormeau Boris Simeonov-Pichtik, propriétaire terrien
Sébastien Pouderoux et Basptiste Chabauty (en alternance) Epikhodov, employé
Julien Frison Iacha, jeune laquais
et des comédiens de l'Académie de la Comédie-Française : Fanny Barthod, Edouard Blaimont, Melchior Burin des Roziers, Rachel Collignon, Gabriel Draper
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